Les images présentées dans ce portfolio sont l'esquisse d'une nouvelle ouverture dans mes travaux photographiques. Pourtant, dans la continuité d'une démarche affirmée depuis plus d'une dizaine d'années, il s'agit toujours pour moi d'une tentative de restituer ma perception et ma compréhension des lieux parcourus ou visités, des espaces que je définis comme " territoires ". Cette perception est autant attachée au domaine du sensible qu'à celui du visible. J'évoquais déjà dès mes premiers travaux ce qui motive chez moi l'acte photographique : " Pour moi, la photographie est indissociable d'une activité physique. La relation corporelle à un territoire, la perception de l'espace, l'accumulation d'impressions visuelles et sensuelles constituent un ensemble d'expériences étroitement liées à mes recherches photographiques. C'est ce contact avec l'environnement qui est à la source de mes prises de vue. La spontanéité offerte par le médium me permet alors d'enregistrer instantanément des sensations souvent fugitives. Aux antipodes du reportage ou du voyeurisme, mes images se situent ainsi dans l'intime. Elles témoignent de ma communion personnelle avec un territoire ". Ainsi, une série de photographies réalisées dans plusieurs villes est-allemandes en 1990-91 peu après la réunification s'est elle concrétisée par l'exposition " U.S.W. " : " je pense que tout visiteur de ce pays en pleine mutation ne peut saisir que la superficialité des changements profonds que connaît le peuple qui a grandi ici. Avec mes propres références et un passé culturel différent, il ne s'agit donc pas dans ma démarche d'exprimer un point de vue qui pourrait être nourri de préjugés. Certes, une infinité de choix précèdent la prise de vue ; toutefois il semble que ces choix résultent non pas d'une volonté , mais de l'effet produit par l'environnement sur mon inconscient, qu'ils n'auraient pu être différents " écrivais-je à l'époque. Quelques années plus tard, à propos de l'exposition " la palissade " dont les prises de vue ont été réalisées en Centrafrique en 1991 : " je m'efforçais de faire abstraction de mes préjugés liés à ma culture, de m'effacer derrière chaque photographie (.) . Je considérais le paysage comme porteur de signes dont nous ne possédons pas les codes et que nous ne pouvons que tenter de déchiffrer ". Dans " Territoires de l'incertain ", une autre série d'images réalisées entre 1994 et 1999 dans plusieurs villes tchèques, je ne m'attache non pas au " moment décisif " mais aux moments à priori " insignifiants " privilégiant ainsi la restitution du sensible au détriment de l'événement ou de l'anecdote. C'est sans doute dans " la palissade " qu'il faut voir les germes des images présentées dans le portfolio. Je me suis toujours interrogé sur la signification de ces traces photographiés aux alentours des villages africains. Assez récemment, je me suis mis à reconsidérer ces signes mystérieux comme de possibles ouvres d'art, les imaginer par exemple comme le fait d'interventions plastiques dans le paysage ou comme des sculptures et les déposséder ainsi, du moins dans mon imaginaire, de toute fonction proprement utilitaire. Cette relecture a soulevé en moi de nombreuses questions, entre autres sur la légitimation de l'ouvre d'art, sa (non-) fonction, sa relation à un contexte. A cette même époque, je réalisais les premières prises de vue de " Heer der Steine " (" Armée de pierres ") - c'est ainsi que j'ai intitulé la série du portfolio lors d'une première exposition en Autriche en février 2003. Les photographies présentées ont été réalisées en haute montagne, dans les Alpes, depuis 1999. On y voit ça et là, des objets, principalement des pierres, semblant installés dans l'environnement essentiellement minéral. On est d'ailleurs tenté de s'interroger s'il y a eu intervention dans le paysage - le fait d'un artiste ou de quiconque d'ailleurs, peu importe - ou si c'est la nature qui a fait les choses. Cette dernière n'est elle pas à la source de toute inspiration poétique ou artistique ? On peut se demander par ailleurs si l'ouvre n'existe pas finalement qu'au travers du regard du photographe - elle ne serait donc bien évidemment valide qu'à un instant et à un endroit précis. C'est au carrefour de ces préoccupations que se situe donc l'un de mes projets photographiques les plus actuels.

C.C. septembre 2003

 

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